Date : 05/05/2025
A l'heure où le Premier Ministre déclare, le 15 avril au Sénat, la lutte contre l'absentéisme cause nationale pour nos finances publiques, il serait grand temps de nous interroger sur ses raisons profondes. D'autant plus qu'il frappe pour plus de 50% les moins de 30 ans.
Résumé de l’article pour celles et ceux qui n’ont pas le temps d’être absents trop longtemps 😉
L’absentéisme nous parle de la vie du collectif, il n’est pas seulement l’addition de situations individuelles. Il doit être traité comme tel !
Voici trois pratiques pour un absentéisme responsable, respectueux de chacun et facteur de cohésion et de performance de l’équipe.
Vrai sujet endémique, l’absentéisme coûte chaque année 108 milliards d'euro aux entreprises françaises selon François Bayrou. Le DRH de l'une d'elle nous parlait récemment de 19 millions d'euros de coût en 2024.
Fausse réponse, les sanctions qui sont des remèdes traitant le symptôme pas les causes.
Fausse réponse encore, ces primes de présentéisme qui, depuis la RATP, se répandent dans les entreprises, au point que même certains au Medef commencent à souscrire à l'idée.
Même bien ficelée (progressivité du montant en fonction de la durée de présence), cette solution est un leurre, une approche superficielle qui n'aborde pas le fonds du problème, celui de la justice organisationnelle.
Il y a quelque temps, lors d'une mission pour un Centre d'appel, un collègue intervenait en réduction de l'absentéisme, monté alors à 18%. L'action a permis de le réduire de 75%, sans surcoût. Gain net financier et humain. Pas de cosmétique RSE.
Le sentiment de justice organisationnelle,
au cœur du problème
Tout part du point de vue du salarié. "Ce matin, je suis enrhumé avec quelques courbatures. Je vais au travail ou je reste tranquillement au chaud ?"
La réponse tient dans le sentiment de justice ou d'injustice perçu. Si je m'estime reconnu et traité correctement, que mes collègues m'aident lorsque nécessaire, je ne vais pas à mon tour les laisser tomber. Si mon chef est juste envers moi, m'explique et me donne du feedback, s'intéresse à mon travail, je lui suis redevable. Il me considère. Je viendrai.
Dans le cas contraire, à quoi bon...
En entreprise, de nombreuses études, montrent en effet que le sentiment d'injustice est la cause principale du désengagement. C'est par exemple le cas de Gallup qui montre qu'il est la 1ere cause du burnout.(1).
De leur côté, les jeunes, par leur soif de justice, réveillent celle à laquelle certains de leurs aînés ont renoncé, pris dans un cynisme protecteur. Il est donc logique que ce soient eux qui soient avec les plus de 59 ans qui soient les plus sujets à l’absentéisme.
Il est donc essentiel que le sentiment de justice soit à un niveau suffisant pour que l'entreprise ou l'équipe puisse délivrer son meilleur.
Cependant ce sentiment de justice, car il s'agit bien est rarement évalué dans les baromètres d'engagement ou les études de prévention des risques. Une des raisons en est la confusion entre ce qui est perçu comme juste et ce qui est légal. Or l'application d'une loi peut être injuste.
Le sentiment de justice s'appuie en effet sur 3 éléments :
La considération reconnait la dignité d'une personne et fonde le sentiment de justice. "Le contraire de l'amour ce n'est pas la haine, mais l'indifférence" disait Elie Wiesel. Et si on n'y prend pas garde les salariés, comme dans un Centre d'appel, deviennent vite des numéros, humains indifférenciés.
Le livre pratique et remarquable de Jean-François Berthelot, " Le sentiment d'injustice en entreprise. Anticiper pour assurer la performance", décortique ses mécanismes.
L'auteur cite notamment la Shadenfreude, un terme allemand sans traduction en français, qui signifie la joie ressentie pour l'échec de l'autre. Il s'agit en réalité d'un sentiment né d'une perception d'injustice : si je trouve quelqu'un injuste (non respectueux des règles justes de société), je me réjouirai de son échec. "Bien fait pour lui ! C'est une manière de se réjouir de voir la justice rétablie. De la même manière, si je me sens traité injustement par mon entreprise, mon chef ou mes collègues, j'agirai en conséquence, en fonction de mes moyens.
C'est ainsi qu'un arbitre prenant des décisions inexplicables (critères peu clairs ou favoritisme) ou un joueur snobant le public (manque de considération) seront perçus comme injustes. Vous avez sûrement des exemples récents....
Avec la Schadenfreude, ou joie maligne, je serai tenté même de cacher à un chef ou un collègue injuste des choses qui lui seraient utiles et qui feraient avancer l'entreprise, alors que je les mettrais volontiers à disposition d'un collègue ou d'un manager que je percevrai comme juste.
Vis-à vis de dirigeants ou d'un système perçu comme régulièrement injuste, je peux me désengager. Mais je peux aussi m'opposer de manière passive ou discrète, jusqu'au sabotage dans le pire des cas. Nombre d’entreprise nous parlent des « passifs-agressifs » : y en aurait-il plus qu’auparavant ?
Une ribambelle d'effets néfastes accompagne le sentiment d'injustice : turn-over, absentéisme, présentéisme, burnout, désengagement, maladies mentales ou cardio-vasculaires (l'anxiété produisant le cortisol)...
Le besoin de justice est un des besoins humains les plus profonds. Les neurosciences montrent que, dès 18 mois, un bébé ressent l'injustice. Elle active les zones chaudes du cerveau, réveillant le cerveau reptilien qui nous alerte en cas de menace vitale. Une privation injuste de demi-finale est, pour un compétiteur, une menace quasi-existentielle.
Alors que faire en entreprise ? La 1ère chose est sans doute de rester en éveil. "Sur une échelle de 0 à 10, à combien est le sentiment de justice dans l’organisation ?" Dans un Comité de direction, dans une équipe, laissez répondre chacun séparément à cette question : de cette manière, plus que dans le non-dit, vous construirez des leviers d'engagement et de performance.
Pour l'absentéisme, l'analyser sous ce prisme de la justice perçue est la garantie d'y répondre de manière profonde et durable, pour peu que l'entreprise accepte de remettre en cause quelques pratiques. En s’écoutant mieux, on peut s’adapter les uns aux autres, laisser. Dans ce cas du Centre d’appel nous avons parlé au début, voici les principales actions mises en œuvre.
L’absentéisme est un élément de régulation d’un système humain, il ne doit pas devenir un facteur de pression. Il nous parle de la vie du collectif, il n’est pas seulement l’addition de situations individuelles.
Il est donc positif de se saisir ensemble de cette question pour préserver un droit individuel essentiel et en faire une fierté collective au service de la performance de l’organisation.
(1) https://www.gallup.com/workplace/288539/employee-burnout-biggest-myth.aspx