Date : 14/02/2020
Les DRH sont parfois confrontés à des exigences salariales démesurées et éprouvent des difficultés à trouver des solutions à la fois compétitives et cohérentes avec leurs politiques. Après un aperçu du cadre de référence et des dispositifs dans un précédent article (Stratégies de rémunérations, entre continuité et chamboulements partie 1), il s’agit dans un second temps de connaitre l’application managériale qui en découle.
À ce cadre et ces dispositifs qui évoluent, il faut rajouter la nécessité d’une politique salariale différenciéeen raison de budgets réduits depuis 2008. Comment amener les managers à faire des vrais choix ? Les politiques pluriannuelles facilitent l’approche managériale dans le temps ; il est aussi possible de définir un taux de sélectivité, un mini d’augmentation… Mais il y a aussi le RIR (7), et ce n’est pas une faute de frappe…
Le RIR ou « Ratio Individuel de Rémunération » est l’un des outils les plus pertinents : simple, il permet en effet de situer les salariés dans le cadre de l’entreprise, indépendamment de leur métier et de la valeur absolue de leur rémunération (Figure 2). L’équité s’applique ainsi de manière transverse et non métier par métier.
Un autre fondamental parfois perdu de vue est de veiller à la cohérence entre parcours professionnel et rémunération. Sur une bande donnée, privilégier les entrées en fonction dans les premiers quartiles, préparer l’évolution dans le 3ème et conserver le 4ème pour les salariés en fin de carrière (Figure 3).
Ces fondamentaux, le RIR, ou l’approche corrélée entre parcours professionnel et rémunération ont parfois été oubliés dans des politiques privilégiant coûte que coûte la performance immédiate. Il s’agissait alors de la performance individuelle. Face à la complexité des sujets, c’est bien l’équipe et son talent collectif qu’il s’agit de valoriser, plus que des individus (8).
Les stratégies d’expérience client couplées aux attentes des salariés conduisent à une perte de vitesse du bonus. Au demeurant, la différenciation comme nous l’avons vu plus haut, peut s’opérer par une plus grande sélectivité.
Le bonus, sujet très débattu actuellement (au moins dans les échos médiatiques), prend alors une dimension plus collective et davantage liée à des éléments stratégiques qu’à des éléments opérationnels. Beaucoup de banques par exemple sont ainsi passées d’une politique de vente de produits à un NPS (Net Promotion Score, taux de recommandation nette), pertinent dans une stratégie de conquête qualitative comme d’expérience client.
J’ai connu une entreprise où, selon les différents critères individuels et collectifs, il y avait selon les entités jusqu’à 54 formules de calcul différentes. C’est bien fini. Le bonus doit aussi trouver du sens et pour cela être clair.
Quant aux managers, plus attendus comme facilitateurs ou coachs que reconnus par un statut, ils voient évoluer sensiblement les critères de leur variable : dans beaucoup d’entreprises canadiennes que je connais, le bonus des managers, facilitateurs ou coachs, est non seulement basé sur le niveau de l’engagement, mais aussi sur la réussite des collaborateurs de leurs équipes, et parfois réduit en cas de turn over élevé et de départ de talents clés.
Enfin ce qui est probablement une des nouveautés les plus disruptives est celle qu’apportent les entreprises qui tentent de « libérer » les rémunérations (9). Il y a 25 ans, IBM avait expérimenté avec succès le fait de ne pas fixer de budget d’augmentation et de laisser ses managers proposer. Il en était résulté des demandes inférieures au budget qu’aurait proposé la Direction Générale. Aujourd’hui un phénomène proche se produit ici ou là.
Chez ce grand du sport, les chefs de rayons proposent à leurs pairs leur propre augmentation, celle qui leur semblerait raisonnable. Et cette auto-régulation fonctionne, les rémunérations sont affichées et connues de tous… Un peu comme chez Morning Star décrit par Frédéric Laloux dans « Reinventing Organizations ».
Ce phénomène est lié aux motivations intrinsèques, bien plus puissantes que la carotte, parfois perçue comme humiliante. Chez Favi, même les commerciaux n’ont pas de prime, les bénéfices sont partagés sous forme de participation ; s’y ajoute la reconnaissance de leurs pairs qui savent que du travail des commerciaux dépend leur subsistance.
Dans une entreprise de 250 personnes que je connais bien à Montréal, l’employé qui demande une augmentation, et se voit alors proposer de prendre des responsabilités additionnelles et un poste dont le niveau de responsabilité plus élevée. S’il accepte, il a un an pour s’y préparer, car c’est de sa responsabilité, mais l’entreprise lui verse de suite la rémunération demandée.
Une carrière de cadre est perçue comme linéaire en termes de responsabilité croissante et donc de rémunération toujours supérieure, sans lien avec les contraintes réelles. Ceci conduit à beaucoup de jeux de rôles et in fine de ruptures. Une approche plus transparente des rémunérations peut même permettre de prendre en compte les situations personnelles. Après tout, c’est ce que nous faisons en donnant des jours de congé solidaire, en soutenant les aidants familiaux…
Nous pouvons même envisager, j’ai eu l’occasion de le pratiquer, de négocier à la baisse de la rémunération lorsque les responsabilités et le besoin de ne le justifient plus. Encore faut-il pour cela laisser de côté quelques-uns de nos schémas mentaux…
Nous pouvons même envisager que certaines entités d’une même organisation disposent de budgets d’augmentation différents selon les enjeux d’entreprise qu’elles portent ou les transformations qu’elles doivent mener. Si vous avez de tels exemples, je les regarderai avec intérêt.
Toujours est-il que dans tous ces changements, la créativité est d’autant plus possible que le sujet est sensible et attendu. En touchant aux rémunérations, vous touchez toute l’entreprise à travers sa raison d’être, sa culture et son management… et ses résultats !
Emmanuel Lavergne de Co devenir